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Grand prix de la mise en Seine

Longtemps délaissée, la Seine est sur le point de redevenir l’un des fils conducteurs des grands événements français. Une ambition qui ne coule pas de source au regard des défis écologiques, sanitaires et techniques charriés par le fleuve. Souvent critiquée pour son niveau de pollution et le manque d’aménagement de ses berges, la Seine devrait retrouver de sa superbe.


Jacques Chirac l’a promis en 1988, Arthur Germain l’a fait. L’ancien président de la République, alors maire de Paris, affirmait lors de son passage dans l’émission La Marche du Siècle, diffusée sur la troisième chaîne, qu’il irait se « baigner dans la Seine devant témoins pour prouver que la Seine est devenue un fleuve propre ». Une promesse qu’il n’a pu honorer. Plus de 30 ans après, les problématiques liées à la pollution du fleuve sont toujours là et les représentations qu’ont les Français de la Seine n’ont guère évolué. Considérée comme « polluée » par 58% des Français, ou encore comme « sale » par 41% d’entre eux, il n’est pas étonnant qu’ils soient sept sur dix à en avoir une « mauvaise image » d’après une enquête exclusive réalisée par l’Ifop et OVO Energy France, le sponsor de l’aventurier qui a descendu les 784 km du fleuve lors de l’été 2021.


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Est-ce là la raison pour laquelle aucun grand événement ou presque n’y a été organisé depuis près de 100 ans ? Pas sûr. À voir Arthur Germain, on se dit que tout est possible, malgré les idées reçues sur ce fleuve. Et c’est là l’un des piliers de son aventure. « Il faut changer les mentalités, bousculer les préjugés associés à la Seine », témoigne l’aventurier. « Elle n’est pas si polluée et dangereuse qu’on le pense ! Si je nage dedans maintenant, tout le monde pourra le faire dans peu de temps et rien n’empêche d’y organiser des événements pour recréer du lien entre les Français et le fleuve ! ». L’aventurier partage d’ailleurs son expérience inédite de 49 jours avec le sourire et la passion dès qu’il le peut, dans des écoles, dans des associations pour « mettre en avant sa diversité, la montrer dans ce qu’elle a de plus beau, sans occulter les problèmes, mais toujours avec un message positif : aux gens, à nous tous de nous l’approprier et de faire en sorte, chacun à notre niveau, que demain la Seine aille mieux ».

Des grands événements sur la Seine ? Ce n’est pas un long fleuve tranquille

Des Jeux de 1900 où deux Français se disputaient la première place de l’épreuve de skiff en aviron sur la Seine et où une épreuve de pêche à la ligne est même organisée à l’exposition internationale de 1937 avec des pays exposant proche des berges, la Seine a déjà par le passé été mise sur le devant de la scène. Et non sans difficultés. La belle histoire avec les Jeux s’était arrêtée en 1924 pour cause de pollution déjà trop importante dans le fleuve et d’interdiction de baignade dans ses eaux et l’édition de l’exposition internationale de 1937 avait été perturbée par des crues importantes. Depuis, les difficultés sont nombreuses pour (re)faire de la Seine un site d’événement, d’épreuve et de baignade. En cause, le millefeuille d’acteurs concernés et l’enchevêtrement parfois baroque de normes et de compétences, la géographie hétéroclite du fleuve et de ses berges mais aussi les multiples sources de pollution, parfois difficilement identifiables. Mais si les hommes ont réussi à aller dans l’espace sans doute sontils capables de nettoyer et assainir le fleuve pour y projeter les rêves les plus fous ? C’est en tous cas une priorité pour permettre a minima d’organiser les épreuves de 10 km nage libre et du triathlon dans la Seine dès 2024 et, plus tard, d’avoir au moins « une zone de baignade identifiée, des événements et épreuves sportives récurrentes » confie Pierre Rabadan, adjoint à la ville de Paris en charge du sport, des Jeux et de la Seine. « Le fleuve est au coeur de la ville et au coeur du projet ». Entendez : au coeur des chantiers des événements des siècles à venir. Avec l’idée d’en profiter pour rendre le fleuve suffisamment sain pour que tout le monde puisse s’y baigner.

Tous à l’eau

Rien que la grandiose cérémonie d’ouverture en 2024, entre le Pont d’Austerlitz et le Pont d’Iéna, doit pouvoir célébrer le fleuve et marquer l’histoire en devenant la première du genre organisée en dehors d’un stade. OBS, le diffuseur de l’événement, donnera à des milliards de téléspectateurs l’opportunité de voir défiler les délégations sur la Seine, traversant ainsi la capitale et son histoire. Car remonter la Seine c’est aussi remonter le temps et l’histoire de la capitale. « Ce n’est pas un hasard si les villes se sont construites sur les berges des fleuves et des rivières » lance Pierre Rabadan, convaincu du lien sentimental et historique qu’entretiennent Paris et ses habitants avec le fleuve. Renouer avec le fleuve ne tient pas uniquement à la baignade car, si le fleuve le devenait, encore faudrait-il pouvoir y accéder facilement. Il y a peu encore, les voitures étaient reines sur les berges de Seine dans Paris et la piétonisation ne fait pas l’unanimité. Pour autant, force est de constater que touristes et Parisiens sont nombreux à y flâner, pratiquer un sport ou encore consommer dans les guinguettes. Dans d’autres villes traversées par le fleuve, un certain nombre de réalisations et projets vont dans le même sens. À Saint-Ouen-sur-Seine par exemple, la ville étudie la possibilité de créer des navettes entre les berges de la ville et l’Île-des-Vannes où s’installera prochainement la Tony Parker Academy. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Village des athlètes sera construit au sud de la ville s’ouvrant en son coeur sur le fleuve. Le futur quartier sera relié à L’Île-Saint-Denis par une nouvelle passerelle, réaffirmant ainsi la connexion du territoire de part et d’autre du fleuve. Les espoirs sont permis car des événements sont déjà organisés sur le fleuve et avec succès. Rock en Seine réunit plus de 100 000 visiteurs dans le Parc de Saint-Cloud à deux pas de la Seine, Paris Plage s’étend aujourd’hui dans le Parc Rives de Seine, sur le quai de Loire du canal de l’Ourcq où il est possible de se baigner dans trois bassins et sur le quai de Seine au bassin de la Villette. Autre ville sur la Seine, Rouen montre aussi l’exemple depuis plus de 30 ans avec l’organisation de l’Armada, l’un des plus grands rassemblements de voiliers et de bâtiments militaires sur les quais, visitables gratuitement par le grand public. Jean Lecanuet, maire de Rouen dans les années 1980, cherchait alors une idée pour animer et faire revivre les quais. Il a eu raison d’y croire.

La Seine, atout logistique vert numéro 1

Objectif cohésion du territoire et reconquête des habitants donc, sans oublier que le fleuve à d’autres atouts pour la ville, notamment… logistiques ! Avec 50% du fret fluvial national dans la vallée de la Seine, le fleuve est encore un poids plume face aux routes des alentours qui convoient toujours 85% des biens et des marchandises. Essentielle à la vie des villes et des territoires, la logistique a pourtant rarement bonne presse, surtout lorsqu’elle créée des congestions en centre-ville. C’est là que la logistique fluviale peut apporter des réponses en aménageant des espaces dédiés comme le tunnel Henri IV ou celui des Tuileries dans Paris Centre. Certaines entreprises parient d’ailleurs sur ces nouveaux modes de livraison en coeur de ville, comme Franprix qui alimente ses 300 magasins parisiens par la Seine. Faire une partie du trajet sur l’eau plutôt qu’entièrement par la route permet à l’enseigne de retirer 3 615 camions des routes et d’économiser plus de 80 000 litres de carburant par an. Presque invisible à quai, la logistique fluviale pourrait remettre quelques bateaux de fret au coeur de la capitale, lui redonnant ainsi des airs de la grande période industrielle où le port Javel de Paris était un symbole de la grandeur économique française. Des sportifs et sportives en combinaison aux acteurs de la logistique fluviale sans oublier les festivaliers et autres visiteurs, la Seine a tout pour devenir l’une des plus grandes scènes de France.

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