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Ryadh Sallem, l’homme aux mille vies

Né avec un handicap physique, Ryadh Sallem a été successivement champion handisport, entrepreneur, candidat aux législatives, responsable d’associations... et une inspiration pour beaucoup de ceux qui ont croisé sa route. Ce touche-à-tout de 51 ans voit loin. Portrait


« À quoi ça sert de dépenser des millions d’euros pour sauver les gens si c’est pour les laisser ensuite emprisonnés ? » Passer une heure à converser avec Ryadh Sallem, c’est enchaîner les « punchlines » comme celles-ci, et se retrouver soi-même un peu sonné. 18 fois champion de France et d’Europe de handisport, quintuple participant aux Jeux (natation, basketball et rugby-fauteuil), l’homme en impose. Par ses engagements, ses combats, et son amour des autres, qui transparaît à chacune de ses réponses. Oui, à quoi ça sert de sauver des vies, de réparer des corps, si c’est pour les laisser en marge de la société ensuite ?

Ryadh Sallem, l’homme aux mille vies

Né à Monastir en Tunisie e, 1970, Ryadh Sallem en sait quelque chose. Il est un « enfant de la thalidomide », ce médicament ingurgité par sa maman au cours de sa grossesse et responsable de plusieurs malformations. « Je suis amputé des deux jambes, de la main gauche et j’ai une malformation de la main droite » explique-t-il, avant d’ajouter avec cet humour dont il usera à plusieurs reprises au cours de l’entretien : « Je ressemblais à une statue grecque à qui il manque des morceaux, donc c’est sympa dans un musée, mais dans la vraie vie… » Ce handicap rythmera sa vie : les années difficiles quand, dès 18 mois, il est amené en France par son père pour entamer de longues années de rééducation. Et les moments plus heureux, dédiés au sport, à l’engagement associatif, à l’entrepreneuriat, à la politique. Avec toujours un dénominateur commun : la solidarité, et cette insatiable envie de faire bouger les choses. « J’ai eu mille vies », confesse-t-il… « Une vie de militant associatif, de dirigeant d’associations, une autre dans l’entrepreneuriat social et solidaire, une vie de sportif évidemment… Et une vie d’engagement politique aussi ». Candidat (PS dans la 10e circonscription de Paris) aux législatives en 2017, il est aujourd’hui tourné vers 2024 : ancien membre du comité de candidature, il est à la fois « Ambassadeur » des Jeux, « porte-parole d’ESS 2024 » et membre du conseil d’administration.


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Pour lui qui n’a jamais décroché de médaille en 5 participations (1996, 2000, 2004, 2012 et 2016), 2024 sera forcément une victoire. « Comme pour chaque édition, il y aura un avant et un après Jeux », prédit-il. « Au-delà des infrastructures, du bâti, 2024 peut être l’année de l’accessibilité des esprits. C’est le plus important : cette prise de conscience massive en matière d’inclusion est tellement nécessaire… » Dans trois ans, c’est sûr, le changement aura opéré. « On nous a fait une promesse de Jeux partagés, et c’est inscrit dans le cahier des charges que les appels d’offres seront pour partie réservés à des entreprises de l’ESS ! » Et l’homme aux mille vies de rêver d’une portée symbolique, « d’une seule flamme, que l’on n’éteindra pas avant les épreuves handisports comme c’est le cas habituellement ». Un symbole parmi d’autres déjà, bien concrets : pour la première fois, l’équipe de France est unifiée, le logo est le même pour toute la délégation, et des sportifs handisports sont impliqués dans le conseil d’administration. Mais Ryadh rêve d’aller encore plus loin.

Le handicap, symbole de notre humanité

Sur le plan médiatique d’abord, lui qui ne comprend pas que des chaînes diffusent des compétitions de fléchettes, mais boudent encore les Jeux dédiés aux handisports. Un problème très français, qui fait encore plus mal lorsqu’on se compare à d’autres pays. Il a pu le constater de lui-même, « en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, en Turquie… », et en Italie, où il a mené une carrière professionnelle comme joueur de basketball. « Un autre monde. Là-bas, je suis perçu comme un athlète de haut niveau, alors qu’en France je suis surtout vu comme un handicapé », déplore-t-il. « Plusieurs clubs professionnels étrangers lui ont offert des ponts d’or, mais il a toujours refusé », expliquait il y a quelques années son coéquipier et ami Lionel Desrayaux. Le sport, il en avait une autre idée. « C’est ce qui m’a permis d’être en paix avec moi-même ». La formule pouvait difficilement faire plus mouche. Initié dans le centre de soin qui l’a accueilli jusqu’à ces 16 ans, c’est d’abord ce qui lui a ouvert des portes trop souvent fermées aux personnes en situation de handicap. Des voyages, un peu partout dans le monde, des rencontres, de nouveaux horizons. Une envie d’aller vers l’autre et de l’aider aussi, qui le poussera à créer en 1995 Cap Sport Art Aventure Amitié (CAP SAAA), association qui sensibilise et promeut une vision positive du handicap au travers du sport. Et ne lui parlez pas de « valides » et d’« invalides », une terminologie « du XVIIIe siècle » qu’il réfute. « Il y a des êtres humains, c’est tout. Et c’est ce qui m’intéresse, la matière humaine, le vivant, et ce que l’on peut faire pour vivre ensemble en paix. On est soi-disant l’espèce intelligente, qui arrive à soigner, réparer, faire reculer la mort… Le handicap est en quelque sorte le symbole de notre humanité. Mais passé la rééducation, les soins, on oublie de rendre accessible la cité. Pourtant, le handicap est universel, il touche sans distinction sociale, de race, d’orientation sexuelle. Alors, j’essaye d’agir à mon modeste niveau ».

Porte de Pantin, 30 000 m2 dédiés à l’inclusion

L’homme est modeste, mais le niveau l’est beaucoup moins, tant ses implications sont multiples. Avec son association, il a créé « Educap City » un programme visant à sensibiliser les jeunes aux différences et aux façons de les accepter, qu’il s’agisse de vivre-ensemble ou de main tendue à l’autre. Porte de Pantin, il est à l’origine de la Cité Universelle, porté par GA Smart Building. Le projet, lauréat de « Réinventer Paris 2 » d’une surface de 30 000 m2 se veut un modèle d’inclusion. Un ouvrage innovant, durable et responsable destiné notamment aux sportifs handicapés, qui combine les usages d’une mini ville aux portes de Paris avec une salle de sports, un hôtel de 200 chambres, un centre de santé, un espace de coworking, des bureaux, des commerces… le tout ouvert et accessible à tous ! « Il faut remettre l’accessibilité au cœur des villes », insiste Ryadh Sallem. « Aujourd’hui, je me demande : comment le monde de demain sera structuré si on n’aménage pas la cité aux plus vulnérables d’entre nous ? J’ai passé plus de vingt ans dans les hôpitaux, je voudrais pouvoir continuer à gambader aussi longtemps que possible, même si mon corps s’affaiblit ! » Et d’élargir son propos à tous les publics : « Vous économisez une bonne partie de votre vie pour vous acheter un logement, et passé un certain âge, vous êtes forcé de le vendre pour aller en Ehpad. Alors que si en amont vous aménagez les commerces, les services, la mobilité, vous pouvez rester chez vous bien plus longtemps. C’est à la ville de s’adapter ».

Celui qui intervient auprès d’entreprises afin de les aider à mettre en pratique leur politique d’inclusion, notamment par le recrutement d’athlètes handisport, est lui-même directeur associé d’une Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale. Un modèle du genre, puisque Séquences clés production, spécialiste de la production audiovisuelle, emploie 80 % de professionnels touchés par le handicap. Un modèle en forme de profession de foi : « Dans un pays comme le nôtre, la différence doit être la norme. C’est ce que j’essaye d’expliquer aux enfants. La société façonne une norme, mais c’est un mirage. Être “normal” aujourd’hui dans notre société, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela n’existe pas, qui que l’on soit ».

Ryadh Sallem en 4 dates

  • 1971 – Arrivée en France, à 1 an
  • 1990 – Crée l’association Capsaaa
  • 1996, 2000, 2004, 2012, 2018 – Participation aux Jeux
  • 2015 – Intègre le Comité de candidature de 2024
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