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Comment la France assure la sécurité de ses événements géants

La France dispose d’un savoir-faire mondialement reconnu en matière de sécurisation des foules. Une expertise rare.


Ils voulaient entrer dans le stade ou, à tout le moins, s’en approcher au plus près. Se faire sauter au milieu de la foule. Les kamikazes ont échoué. Si les attentats du 13 novembre 2015 furent dramatiquement meurtriers, ils auraient pu être plus dévastateurs. Ce soir-là, au Stade de France les services de sécurité mis en place ont très bien joué leur rôle.

Ainsi, en dépit de la paranoïa ambiante, quelques mois plus tard, les fan zones de l’Euro 2016 ont fait le plein. L’envie l’emportait sur la crainte. Rien d’irrationnel à cela. Tous ces supporters avaient confiance en la capacité des pouvoirs publics d’assurer leur protection.

La spécificité du système français en matière de sécurisation de grands rassemblements tient à un savant mélange entre sphères publique et privée. C’est même la clé du savoir-faire hexagonal, reconnu dans le monde entier, et qui vaut au pays d’être, dans l’histoire, celui qui a accueilli le plus d’événements sportifs d’ampleur planétaire.

Et, bien sûr, quand il s’agit de veiller au bon déroulement d’événements aussi importants, les agents de l’État, seuls, ne peuvent rien sans le soutien du secteur privé. « Dans la perspective de 2024, nous aurons besoin de 20.000 à 24.000 agents en sécurité privée », assure à GRAND! Franck Tchavouchian, président fondateur d’OCPR Events, cabinet de conseil spécialisé en sécurité et sûreté des événements, qui est intervenu pendant l’Euro 2016, la coupe du monde de Handball 2017, ou sur le parcours du Tour de France.

« Il y a un avant et un après 1998 »

La multiplication des grands matchs de football permet aux équipes de sécurité privée de travailler en relations étroites avec les policiers et les gendarmes, dans et aux abords des stades. Le tournoi de tennis de Roland-Garros offre tous les ans la possibilité d’œuvrer sur un site plus grand encore. Et, cerise sur le gâteau organisationnel, le pays dispose, avec le Tour de France cycliste, « de la plus grande épreuve itinérante au monde », comme se plaît à le rappeler Pierre-Yves Thouault, numéro deux d’ASO, l’organisateur de l’épreuve, en charge des questions de sécurité.

A l’heure où les instances internationales se décident à choisir tel ou tel pays pour accueillir une compétition d’envergure, voilà qui aide à faire pencher la balance. Ces agents privés sont contrôlés par le Conseil national des activités privées de sécurité, un service de police administrative rattaché au ministère de l’Intérieur. C’est lui qui délivre, après vérifications, les agréments nécessaires à l’exercice du métier. Pas question de laisser passer un potentiel agent terroriste dormant. Pas question, non plus, d’accepter quelqu’un qui n’aurait pas été formé correctement.

« En la matière, il y a eu un avant et un après 1998 », pointe Franck Tchavouchian. Cette année-là, en effet, la France n’a pas fait que gagner la coupe du monde de football. Elle a obtenu, aussi, ses galons d’organisateur. « Cela a permis de franchir un cap, reconnaît l’expert. Le métier de la sécurité privée s’est structuré et professionnalisé, dans le sillage de l’État qui s’est décidé à poser un droit de regard ferme sur toute la chaîne de décision. »

Apprendre à canaliser les flux de visiteurs ne va pas de soi. Sectoriser les zones, dans les stades ou les fan zones, pour éviter que des supporters hostiles ne se rencontrent, non plus. Procéder aux nécessaires palpations de sécurité rapidement mais complètement, sans crisper la personne en face ni créer trop d’attente derrière, encore moins. Et que dire des sacs abandonnés, qu’il convient de traiter sans créer de mouvements de panique ? Tout cela est passé au crible d’une formation sérieuse, d’un minimum de quatre mois pleins.

FICHES-RÉFLEXES ET GESTION DE CRISE

« Ce n’est pas le jour J que l’on doit décider qui doit faire quoi. L’objectif de ces formations, couplées aux nombreux exercices de gestion de crise, est d’aboutir à un partage clair des responsabilités, et non à leur dilution », explique Franck Tchavouchian. En clair : faire en sorte que le trop fameux « à moi de gérer ça, c’est à l’autre » n’existe pas.

C’est à ce prix que l’on touche du doigt l’excellence. Chaque année, le Tour de France, sur les 3500 kilomètres de son parcours, voit s’agglutiner entre 10 et 12 millions de curieux. Aussi fou que cela puisse paraître, en dépit des 2000 véhicules qui passent, les accidents mortels sont extrêmement rares. Le risque zéro n’existe pas, mais tout est fait pour tendre vers lui. « La clé d’une bonne organisation est d’être dans l’anticipation, jamais dans la réaction, insiste Pierre-Yves Thouault, interrogé par GRAND! Les procédures à suivre sont très claires, édictées à l’avance, avec des fiches réflexes récapitulatives et, surtout, énormément de préparation. Nos motards, par exemple, effectuent des stages réguliers avec la Garde républicaine pour savoir comment réagir. Nous sommes dans un échange permanent avec les services de l’État, et ce à tous les niveaux. Nous menons plus de 150 réunions avec les autorités concernées, préfectures, Samu, pompiers, dans les quelque 35 départements où nous passons chaque année. »

« Une sécurité efficace est une sécurité qui ne se voit pas. »

Plus de 23.000 policiers et gendarmes, 6000 pompiers, une équipe du GIGN, une compagnie de CRS, des équipes cynophiles, des physionomistes, mêlés en civils à la foule, chargés de repérer les comportements suspects, des centaines d’agents de sécurité, des caméras de vidéo-protection et, derrière, dans des salles de contrôle, des dizaines d’opérationnels pour tout scruter… Le dispositif est gigantesque, rôdé. Si les coureurs sont des sportifs de haut-niveau, ceux qui les protègent, le sont aussi. « Nous avons des yeux partout et cela ne se voit pas, avance Pierre-Yves Thouault. Le stress se communique, la peur aussi. Une sécurité efficace est une sécurité qui ne se remarque pas. »

Malgré tout, le drame peut toujours survenir. Et s’il advient, l’important sera de chercher à revenir sur l’enchaînement des micro-failles ayant conduit au pire, afin de mettre en place de nouvelles normes pour que cela n’arrive plus. « Se remettre en question est la clé de voûte du système », conclut Franck Tchavouchian. Et la France, avec son cadre législatif très strict a justement cette capacité. Si l’on voulait se montrer taquin, on pourrait aller jusqu’à dire que la très célèbre bureaucratie française a du bon.

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