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E-Sport : Sportifs virtuels, champions pour de vrai

Ils remplissent les plus grandes salles du monde et aiguisent de plus en plus l’appétit des sponsors… Portraits.


« DaXe », le prince de Fifa

Double champion du monde du jeu vidéo de football Fifa, Lucas « DaXe » Cuillerier parcourt le monde, côtoie les joueurs du PSG, et défend les couleurs de son pays. Tout en préparant son bac. 

C’est en octobre 2016 que tout a basculé. Ce jour-là, le Paris Saint-Germain qui vient d’ouvrir une section eSport, prend contact avec Lucas Cuillerier, plus connu sous le pseudo de DaXe. Immédiatement, une prise de conscience s’opère chez l’adolescent d’à peine 16 ans : Fifa, son passe-temps favori, va devenir son métier. D’autant que quelques semaines plus tard, l’adolescent va confirmer les espoirs placés en lui, en devenant champion du monde de la discipline. Puis conserver son titre l’année suivante, une première.

S’il rechigne à l’avouer, Lucas a un don. Son père Olivier, lui-même amateur de jeux vidéos, l’a compris avant tout le monde. « C’est un peu de ma faute, il était sur mes genoux lorsque je jouais, plaisante-il. À 13 ans, on s’est rendu compte qu’il était vraiment doué. Lors de ses premiers concours, il finissait régulièrement sur le podium, alors même qu’il jouait contre des garçons de 18 ou 20 ans », explique-t-il à GRAND!.

Le papa devient alors le premier supporter du fiston, mais aussi son entraîneur et son agent, l’accompagnant aux quatre coins du pays pour les compétitions. Jusqu’à ce fameux mois d’octobre 2016 : « Le PSG nous a présenté un projet structuré, avec un vrai coach, une prise en charge complète. Ils venaient nous chercher et nous ramenaient devant la porte de la maison », près de Beauvais (Oise). Concrètement, Lucas suivra une scolarité aménagée (il reçoit par exemple ses cours photocopiés lorsqu’il est en déplacement pour une compétition). Disposera d’un salaire fixe, en plus des gains acquis lors des tournois (qui se situent généralement dans une fourchette de 2.000 à 10.000 euros).

 

« Voir mon fils porter le coq, c’est extraordinaire »

Depuis, le jeune prodige se débrouille (presque) seul. S’entraîne quatre à cinq heures par jour, tout en poursuivant ses études – il passera son bac à la fin de l’année. Participe aux compétitions les plus prestigieuses aux États-Unis, en Asie ou ailleurs. Travaille son anglais en pensant déjà à la suite, qu’il imagine dans l’eSport, en tant que manager ou membre d’un staff. Enchaîne les évènements organisés par les sponsors du PSG, parmi lesquels la boisson énergétique Monster. « Après mon titre, en 2017, j’ai pu échanger avec quelques joueurs, dont Blaise Matuidi. On s’est très bien entendus », se rappelle-t-il.

S’il a changé de dimension, « DaXe » ne mène pas la grande vie, ni ne se laisse griser par ses milliers d’admirateurs – son compte Twitter affiche plus de 37.000 followers. Ses premiers gains ont servi à financer son permis de conduire. Il vit toujours au domicile familial, où l’attendent sa sœur et son père, à qui il doit beaucoup : « Avant, il s’occupait de moi, il me motivait. Maintenant, il me laisse faire ce que je veux. Beaucoup de parents voient les jeux vidéos d’un mauvais œil, mais lui savait que ce serait bénéfique pour moi ».

Côté paternel, on ne cache pas sa fierté. Particulièrement lorsqu’on évoque la dernière coupe du monde de Fifa, remportée par Lucas sous les couleurs de l’équipe de France eFoot. « Pour un ex-rugbyman comme moi, le fait de voir mon fils porter le coq, c’est extraordinaire… », sourit-il. Et de soupirer, non sans une pointe d’émotion :« Il y a tellement de monde qui le regarde! »

 

Kayane, la bagarreuse

Passionnée de jeux de combat, Marie-Laure Norindr est peu à peu devenue une figure incontournable de l’eSport. Mais elle a dû se battre pour s’imposer dans un monde masculin où, parfois, tous les coups sont permis.

Las Vegas, Londres, Alger, La Réunion… Les plus grandes scènes internationales de l’eSport s’arrachent sa présence. En France, c’est à la télévision, sur la chaîne Game One, qu’elle dispense ses conseils. Kayane (prononcer Kayané mélange de Kasumi et Ayané, deux personnages du vieux jeu d’arcade Dead or Alive 2) marque chaque jour un peu plus l’histoire de sa discipline, les jeux vidéo de combat. Et voilà des années que ça dure.

Ses frères, ex-champions d’Europe du célèbre jeu Tekken, en savent quelque chose. En 1999, lorsque le premier opus de Soulcalibur paraît, ils font face à une surdouée. Trois ans plus tard, c’est le vice-champion du monde de la discipline qui rend les armes face à Marie-Laure (le vrai nom de Kayane), qui s’offre son premier tournoi majeur. Elle n’a alors que 12 ans. Depuis, les coups pleuvent, les titres aussi. En 2012, ses 42 podiums en compétition lui valent la reconnaissance du Livre Guinness des records, en catégorie féminine. Quatre ans plus tard, elle couche ses exploits sur papier avec Kayane, parcours d’une e-combattante (404 Editions). À tout juste 25 ans.

« Je n’ai pas été très bien accueillie »

La persévérance et le sens de l’adaptation, ses principales qualités selon elle, lui ont souvent été utiles. Comme à ses débuts, lorsqu’elle a dû composer avec une communauté de joueurs essentiellement masculine. « Quand je suis arrivée dans ce monde, j’avais neuf ans et je n’ai pas été très bien accueillie, on me disait de retourner jouer à la poupée. Puis les relations ont été compliquées avec les autres joueurs à l’adolescence. Pour certains, j’étais en quelque sorte une proie sexuelle », se rappelle-t-elle. Drague lourdingue, montages photos douteux, la jeune femme encaisse, mais dû porter plainte contre un fan pour harcèlement.

Même si sa popularité ne s’est jamais démentie (elle est suivie par plus de 150.000 personnes sur Twitter, plus de 100.000 sur Facebook), cette bagarreuse a toujours gardé un pied en dehors de l’eSport. Elle pratique régulièrement la boxe française, même si son agenda de joueuse ne lui permet pas de participer aux compétitions. Entretient sa dextérité au piano – la musique de Final Fantasy VII l’inspire particulièrement. Travaille à la suite, aussi, même si elle se voit jouer encore pendant plusieurs années. Aujourd’hui, la faiblesse des récompenses lors des tournois de jeux de combat ne la met pas à l’abri financièrement – même si elle complète avec son émission et grâce à son sponsor, l’opérateur Orange. Titulaire d’un master 2 spécialisé en médias, elle rêve de maîtriser le japonais, et d’interviewer dans leur langue natale les grands noms du jeu vidéo. Un défi de taille mais, comme depuis toujours, Kayane est prête à se battre pour y arriver.

 

Sébastien « 7ckngMad » Debs, taille patron

L’an dernier, le jeune Français a remporté le tournoi le plus richement doté de l’histoire de l’eSport, avec un prize money de 25 millions de dollars. Mais les sacrifices ont été nombreux pour en arriver là.

La lumière et les fumigènes s’allument, le speaker hurle pour couvrir les cris des spectateurs, et Sébastien Debs lève les bras au ciel. Il vient de réaliser le rêve de millions de « gamers » en décrochant le titre suprême du jeu Dota 2 : le tournoi The International, compétition la plus richement dotée de l’histoire du eSport. Le jeune Français empoche au passage la somme de deux millions de dollars, tout comme ses coéquipiers de l’équipe européenne OG. Au total, 25 millions de dollars auront été distribués aux participants lors de la dernière édition, à Vancouver (Canada).

Il faut dire que Dota 2, jeu de stratégie qui oppose deux équipes de cinq joueurs au sein d’une « arène de bataille », figure parmi les disciplines majeures du sport électronique. En mars, quelque 12 millions de joueurs s’y sont affrontés.

« Il est impossible d’avoir une vie sociale ou amoureuse »

De quoi mesurer la performance réalisée par Sébastien Debs, alias « 7ckngMad » (comprendre FuckingMad, fou furieux en français). Car pour devenir le premier Français à remporter le prestigieux tournoi, celui-ci a dû consentir de nombreux sacrifices. Sa journée type ? Au moins huit heures d’entraînement, consistant notamment à élaborer des stratégies de jeu et à enchaîner des matchs amicaux en ligne, sans compter les compétitions. Les temps morts sont trop rares et surtout trop imprévisibles pour que des vacances puissent être envisagées.

Un rythme infernal qui a déjà failli avoir raison de ses ambitions. « En 2015, j’ai décidé de me retirer de la scène professionnelle », explique-t-il à GRAND! « Lorsque l’on est joueur professionnel, il est impossible d’avoir une vie sociale ou amoureuse ».

L’équipe OG parviendra tout de même à le faire sortir de sa retraite un an plus tard, en lui attribuant la double casquette d’entraîneur-joueur. Les résultats sont vite au rendez-vous et la victoire à The International devient alors un objectif avoué. Mais en 2018, à quelques jours du début des qualifications, deux membres de l’équipe rejoignent à la surprise générale le rival américain EG. Ce choix, vécu comme une trahison, révèlera finalement une force mentale hors du commun chez « 7ckngMad ». Sous son impulsion, l’équipe OG recrute deux nouveaux joueurs, reprend les qualifications au plus bas niveau, et se hisse en phase finale de The International. La suite est désormais connue : le speaker hurle, et Sébastien Debs lève les bras au ciel.

À 26 ans, le jeune Français a désormais un rêve : gagner devant son public, lors du premier tournoi majeur de Dota 2 organisé en France à Disneyland Paris. Tandis qu’un autre objectif se profile : « gagner The International une deuxième fois », prouesse jamais encore réalisée.

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