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Coupe du monde 2019 : Pourquoi les Bleues peuvent changer de dimension

Merchandising, droits télés... Le football féminin est en pleine expansion. La Coupe du monde 2019 peut le faire définitivement entrer dans le cœur des français.


Le 7 juillet, vers 20h. La finale de la Coupe du monde féminine rend son verdict sur la pelouse du Groupama Stadium de Lyon. Le drapeau bleu, blanc, rouge, flotte-t-il sous l’arc de Triomphe ? Au-delà du palmarès de prestige, une victoire historique des Bleues pourrait tout changer pour le foot féminin, véritable catalyseur pour une discipline qui n’a de cesse de monter en puissance. Que ce soit en termes de licenciées, que de médiatisation et de poids économique.

Car la tendance est bien là. En 2011, la France comptait 54.000 joueuses licenciées.. Durant l’été 2017, Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF chargée du développement du football féminin, en dénombrait 130.000, avec une vitesse de progression « en accélération ». Un bon de 140% sans l’ombre d’une victoire internationale majeure… Mais les filles profitent aussi des victoires des garçons : depuis le sacre des Bleus à la Coupe du monde en Russie, en juillet 2018, les inscriptions dans les clubs féminins ont bondi de 15% ! Le cap est désormais fixé à 200.000 licenciées d’ici à 2020.

Certes, le rapport serait encore de 1 à 10 avec le foot masculin, mais il tend à se réduire. Désormais, PSG et l’Olympique Lyonnais disposent d’effectifs de qualité tant chez les hommes que chez les femmes. Accessoirement, le club de Jean-Michel Aulas a déjà remporté six fois la Champions League féminine, Chez les garçons, un seul club français (l’OM) a remporté le trophée… en 1993. Le genre de performance XXL qui fait du bien au championnat féminin français : cette saison, les matchs sont diffusés en intégralité (soit 132 rencontres) sur Canal +, une première. Des résumés sont même diffusés à la mi-temps des matches de leurs homologues masculins.

« C’est très positif pour le football féminin, ça va lui permettre de franchir un palier et de continuer à se structurer », se félicitait il y a un an Pascal Bovis, président du du FC Fleury, le club promu en 1ère division cette année. Et de bien résumer les enjeux : « Cette meilleure médiatisation peut amener plus de public, une plus grande visibilité pour se vendre auprès des sponsors et donc des recettes supplémentaires. » Car pour bénéficier d’un effet d’entraînement, et susciter la pratique, mieux vaut être sur le devant de la scène. Le genre de chose qu’une victoire en Coupe du monde ferait au-delà de toute espérance…

LA D1 FÉMININE, MEILLEUR CHAMPIONNAT D’EUROPE

Le timing serait parfait pour les footballeuses de Division 1. Leur championnat est le meilleur d’Europe – leurs homologues masculins ne peuvent pas en dire autant. « Combinés, les droits de diffusion du championnat et de l’équipe de France féminine, représentent un montant de 5,3 millions d’euros par an. C’est le plus élevé en Europe », calcule Pierre Rondeau professeur à Sports Management School et co-directeur de l’Observatoire Sport et Société pour la fondation Jean Jaurès. En face, la Ligue 1 masculine est sur le point de dépasser le milliard d’euros par an…

« C’est malgré tout une bonne chose que les droits soient de ce niveau. Car c’est incitatif et les rend abordables », confirme Pierre Rondeau. D’autant que cette accessibilité s’exprime aussi à travers les valeurs que dégagent les « filles ». Selon une enquête de Kantar TNS, 69% des Français déclarent avoir une meilleure opinion d’une marque si elle s’implique dans le sport féminin. Pour Aurélie Bouillot, directrice Brand Strategy chez Kantar, qui a travaillé sur cette étude, « la pratique du sport par les femmes est plus acceptée par la société aujourd’hui. Elle est jugée plus accessible, plus facile et plus divertissante qu’avant. »

C’est cette même normalité qui fait de plus en plus défaut aux Neymar, Messi et autres Cristiano Ronaldo. Ce n’est pas un hasard si le foot féminin a connu un premier regain après le scandale de Knysna en 2010, quand les Bleus avaient fait la grève de l’entraînement en pleine Coupe du monde en Afrique du Sud, provoquant un scandale mondial. Le foot, d’accord, les caprices de star, non merci.

UN MAILLOT SPÉCIAL POUR LES BLEUES

Résultat, les marques soutiennent les Bleues. À la fin de l’hiver dernier, Orange est devenu le sixième et dernier « Supporter National » de la Coupe du monde féminine, rejoignant EDF, Arkema, Proman, SNCF et le Crédit Agricole.

Nike a même créé un modèle de maillot bien spécifique pour les Bleues : exit les deux étoiles des Bleus, palmarès vierge oblige. L’essentiel est ailleurs. « Quand un équipementier qui connaît le marché s’y met, ce n’est pas si anecdotique que cela. On peut y croire par conviction, ou par intérêt commercial. Ou les deux ! », souligne Vincent Chaudel, fondateur de l’Observatoire du sport business, pour GRAND!

Au sujet de ce maillot, Amandine Henry, l’une des stars françaises qui collectionne les trophées avec l’Olympique Lyonnais, « trouve ça normal qu’on ait quand même des maillots féminins. C’est l’égalité”. Pourtant, ce n’est pas le seul indice d’un alignement des planètes en faveur de son sport. Dans le jeu vidéo Fifa, bastion masculin ultra populaire, il est possible de sélectionner des équipes féminines depuis l’édition 2016. En 2018, le trophée du Ballon d’or a été décerné pour la première fois à une femme, la norvégienne Ada Hegerberg, qui évolue à Lyon. Le 17 mars dernier, le match Atlético-Barça a établi un nouveau record d’affluence pour un match de clubs féminin avec 60.739 spectateurs. En Chine, la Fédération de Football a décidé que, d’ici 2020, tout club de ligue 1 chinoise devra posséder sa propre équipe de foot féminin, en vue de rehausser le niveau de l’équipe nationale… Besoin d’autres exemples ?

UN SPECTACLE AUSSI ATTRACTIF QUE LE FOOT MASCULIN, SI LES MÉDIAS METTENT LES MOYENS

« Maintenant, c’est à la presse d’aider les joueuses à se faire connaître, à jouer le jeu des réseaux sociaux, des interviews. Car il faut faire émerger des têtes connues, des icônes. Il n’y a pas que le journal L’Equipe. Des médias comme Elle, Teva, ont un rôle à jouer. La Coupe du monde en France va aider le foot féminin à sortir de la case sport uniquement. On va en parler dans des médias plus généralistes », explique Vincent Chaudel pour GRAND!.

Pour Gaëtane Thiney, joueuse professionnelle au Paris FC, la Coupe du monde de 2011 en Allemagne a été un déclic. « Il n’y avait cet été-là aucune autre grande compétition sportive internationale, ni pour le football masculin ni dans d’autres sports. Dans ce contexte de « vide », nous nous sommes retrouvées trois fois en Une du journal L’Équipe. Les stades étaient pleins et nous avons joué devant 56.000 personnes. Les moyens déployés par les télévisions ont permis de mettre en valeur le jeu et la technique des joueuses, d’en faire un spectacle attractif, ce qui d’habitude était réservé aux compétitions masculines ».

Bonne nouvelle, les chroniqueuses et présentatrices sportives commencent à sortir du bois, comme Carine Galli sur W9, ou l’ancienne joueuse du Paris Saint Germain Laure Boulleau qui est régulièrement sur les plateaux de Canal +). Depuis plusieurs années, Orange utilise le football féminin dans des prises de parole avec des personnalités comme Gaétane Thiney et Amandine Henry, mises en avant dans le « Team Orange ». Deux joueuses qui peuvent observer de près les mutations en cours dans leur discipline.

Et TF1, qui détient les droits de diffusion des Bleues pour la Coupe du monde, a conscience de sa responsabilité. « Ça sera aussi à nous de faire en sorte que le foot féminin soit regardé avec la même attraction que le foot masculin, déclarait il y a peu sur Europe 1 Anne-Sophie de Kristoffy, directrice des sports de la chaîne. Jusqu’au 7 juin, notre enjeu est de faire en sorte que cette équipe de foot féminine soit un peu plus connue. Le Kylian Mbappé du foot féminin, je suis sûre qu’il existe, mais personne ne le connait encore. On va s’y employer. »

Avec un peu de chance, une compétition réussie des points de vue médiatiques et sportifs profitera au foot féminin dans le monde entier. « Nous sommes dans une société qui a pris conscience que les femmes n’ont pas la place qu’elles devraient occuper. Et la Coupe du monde de football 2019 va faire bien plus de bien à la cause des femmes que tout autre sport. L’héritage ira au-delà du football », parie Vincent Chaudel. Prêts à découvrir un nouvel idéal féminin ? Rendez-vous sur les pelouses à partir du 7 juin.

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