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Claude Onesta, l’Expert qui va faire gagner la France

L’ancien boss du handball tricolore, au palmarès monstre, détaille les clés pour atteindre le haut niveau, sur les terrains et en dehors.


La France doit voir plus « grand » pour les JO de Paris. Vous avez rendu votre rapport il y a un an : où en est-on de cette quête de performance à l’horizon 2024 ?

L’Agence Nationale du Sport va permettre une réorganisation du modèle sportif français. Cette agence sera sous la tutelle du ministère des Sports, mais ne sera pas un service du ministère. Ce sera un groupement d’intérêts publics, qui aura toute liberté d’action dans bien des domaines. Elle fera émerger une gouvernance partagée : l’État à 30%, 30% pour les collectivités dans les territoires, 30% pour les mouvements sportifs et 10% au monde économique du sport. Les acteurs associés du sport français vont enfin prendre le leadership sur la politique sportive française.

« Réorganiser le sport français pour les 30 ou 40 prochaines années »

Concrètement, quel sera le rôle de cette nouvelle agence ?
Dans cette agence, il y a deux secteurs : d’une part ce qu’on appelle le haut niveau et la haute performance, que je vais diriger, et d’autre part le secteur du développement des pratiques pour tous. L’État garde la majorité des voix sur le secteur de la haute performance (60%) car c’est lui qui le finance quasiment en totalité. On rentre vraiment dans une démarche très novatrice, très différente. Bien sûr cela a mis du temps : comme toujours, quand on veut transformer, les gens voient d’abord le danger, la difficulté. Petit à petit, chacun comprend que c’est indispensable d’évoluer. Cela va avoir comme conséquence de réorganiser le sport français pour les 30 ou 40 prochaines années.

Notre modèle était à ce point dépassé ?

Le modèle sportif actuel date des années 60. Avant cela, les résultats de nos sportifs étaient tellement médiocres que l’État avait pris la mesure des difficultés, et avait créé une nouvelle façon d’organiser le sport. Cette nouvelle organisation a été performante et prolifique. Elle a transformé le sport français en profondeur. Mais depuis 20 ans on se rend compte que ce modèle ne permet plus les transformations nécessaires. Conséquence, le niveau des résultats plafonne, et le temps était venu d’une nouvelle démarche, d’une nouvelle évolution. On essaye de trouver la mesure pour que le sport qui jusque-là était trop administré soit de plus en plus « managé » par des experts plutôt que par des administrations. On essaye de mettre de la compétence au cœur du dispositif, et d’avoir une expertise notamment sur la partie du haut niveau et de la haute performance. On a en France l’un des investissements les plus conséquents d’Europe. Pourtant, nous n’avons pas les meilleurs résultats du continent. Un certain nombre de nations aujourd’hui nous ont dépassés. Il nous faut amener plus d’efficacité, plus d’efficience compte tenu des moyens investis. Alors, bien sûr, tout ça produit d’abord de la peur et petit à petit une forme d’enthousiasme et de conscience que l’on se doit d’en passer par là pour espérer des lendemains plus prolifiques

2024, c’est demain. Il n’est pas trop tard pour lancer cette réorganisation ?

Disons que si l’attribution des Jeux n’avait pas été là, je doute qu’on aurait lancé un tel chantier. Tout le monde se serait accommodé d’un maintien de la formule en place avec quelques artifices pour essayer de l’améliorer. Là, l’enjeu est fort, puisque tout le monde est bien conscient que si on rate ce moment majeur à l’échelle du pays, le sport français risque de rater l’opportunité de transformation qui est aujourd’hui nécessaire. L’organisation des JO a bousculé les obligations et on a petit à petit pu engager cette transformation. Est-ce que c’est trop tard ? Certains le disent… Les Anglais s’y étaient pris 20 ans avant Londres 2012. Depuis ils ont une réussite sur le plan sportif qui est assez exceptionnelle. Mais il faut dire qu’ils partaient de beaucoup plus loin que nous puisque le sport anglais en était quasiment là où le sport français était dans les années 60. Même si on a conscience que le délai est court, il vaut mieux un délai court que de ne rien entreprendre une fois de plus.

« 75% des gens qui réalisent des médailles aux JO ne sont plus dans des systèmes étatisés »

Sur quel aspect mettre l’accent pour être le plus performant en 2024 ?

Il y a des éléments à améliorer à tous les niveaux. Nous on a différencié ce qu’on appelle le « haut niveau » de la « haute performance ». Jusqu’à présent on traitait dans la rubrique « haut niveau » à la fois le gamin qui est détecté à l’âge de 13 ans et qui part dans un système d’entraînement intensif et Teddy Riner ! Le chemin vers le haut niveau démarre dès la détection, la mise en place d’une structure d’entraînement quotidien ou bi-quotidien à l’adolescence, pour progressivement aller vers le niveau international. Cette organisation était profitable mais dès lors que les athlètes arrivaient dans le contexte international, ils ne réalisaient pas toujours les performances espérées. Alors comment faire quand on est dans les 8 premiers mondiaux pour accéder au podium ? Et comment faire quand on est 3e pour espérer gagner et devenir numéro 1 ? Ces étapes n’étaient pas très bien gérées, pas analysées de manière singulière.

Et c’était dû à notre organisation ?

Vous savez, le propre d’une administration c’est d’essayer de trouver les formules qui vont convenir à tout le monde. Le système français était un système un peu unique où on essayait de contenter un peu tous les acteurs. Or, on se rend bien compte que plus les athlètes arrivent dans les phases terminales de la performance, et plus ils ont la nécessité d’accéder à des organisations singulières et adaptées à leurs profils, à leur parcours, à leur ambition. C’est cela qui n’avait encore jamais été traité. On avait le sentiment qu’on mettait tout le monde dans un lot commun alors que la haute performance c’est justement du sur-mesure. Dans certains sports, comme le judo, la lutte ou l’escrime par exemple, l’athlète est à disposition de l’équipe nationale et c’est l’équipe nationale qui organise son parcours. Mais l’équipe nationale a tendance à organiser un parcours un peu globalisé. Or on se rend compte que 75% des gens qui réalisent des médailles aux JO ne sont plus dans des systèmes étatisés, ne sont plus à l’Insep ou dans des Creps. Bien sûr, ce sont tous des outils magnifiques pour accéder au meilleur niveau, mais ce ne sont plus des outils adaptés à la réalisation des dernières étapes de la performance, où l’on recherche une équipe dédiée, quelque chose qui s’organise autour de l’athlète, un périmètre affectif maîtrisé, etc…

En quoi l’organisation des JO en France va bénéficier aux athlètes tricolores ?

Chaque fois que vous abordez une compétition à la maison, c’est à double tranchant. D’un côté c’est un support magnifique pour les sportifs français qui peuvent se sentir portés par un pays, qui va vibrer de manière totale. Et à l’inverse cela peut se retourner complètement contre les athlètes qui peuvent avoir un poids sur les épaules assez difficile à porter. Il appartient à ceux qui les encadrent de veiller à ce qu’on soit dans une dynamique positive. Le véritable enjeu des JO 2024, bien sûr, c’est d’avoir des médailles et d’avoir les meilleurs résultats possibles, mais c’est avant tout de faire de la France une société plus sportive qu’elle ne l’est aujourd’hui. Une société sportive c’est une société en bonne santé, c’est une société dynamique, c’est une société de l’engagement, de la volonté de réussir. Cet enthousiasme-là, on peut penser que notre pays en a besoin parce qu’on voit bien que notre pays est plutôt dans des souffrances, qu’il doute.

C’est toute notre société qui peut tirer profit de Paris 2024 ?

Ces moments-là sont des moments majeurs, et on sait tous que la performance sportive s’obtient par le travail. Cela passe bien sûr par l’amélioration des données techniques, mais aussi par des éléments non matériels comme le degré de confiance, le fait de porter les espoirs d’une nation, etc. Ça ce sont des vrais axes de mobilisation pour les sportifs. Nous on doit jouer là-dessus, jouer sur le fait que cette mobilisation ne soit pas juste virtuelle mais soit une mobilisation réelle, que nos sportifs soient soutenus par l’ensemble des Français et que les Français les aident à les mettre en route vers leur meilleur niveau. Il y a une vraie notion de symbiose. La population a envie de vibrer, a envie de vivre des moments exceptionnels regardés par le monde entier. Pendant les JO, vous êtes au cœur de la mobilisation de tous les peuples, et vous devez montrer à ces peuples que le savoir-faire est français et que le niveau de performance peut l’être aussi. Si demain la société française devient une société plus sportive, si demain le sport est plus associé à la vie de tous les Français et pas seulement le sport de compétition mais aussi le sport « santé », l’intégration et l’éducation par le sport, alors on aura gagné. Nous voulons préparer tous ces athlètes à s’organiser pour que la performance des uns soit l’émotion et la joie des autres.

« On a beaucoup construit le modèle de l’entreprise sur un modèle de concurrence. Je pense que c’est une illusion. »

Comment faire pour que cet esprit de performance sportive puisse bénéficier aux Français au jour le jour, dans leur vie professionnelle par exemple ?

Ce qui a très souvent fait ma sollicitation par les entreprises, c’était de savoir comment je pouvais les aider à construire leur projet collectif. Comment je pouvais les aider à créer l’équipe qui allait être le support de leur performance. Et très souvent leur analyse était de dire « nous aussi on de bons joueurs dans notre entreprise mais on n’arrive pas à composer une bonne équipe ». Et c’est vrai que l’analyse du fonctionnement des entreprises au sens large fait largement apparaître une déficience sur le plan managérial.

C’est-à-dire ? Les managers ne sont pas à la hauteur ?

On a beaucoup construit le modèle de l’entreprise sur un modèle de concurrence. On a souvent pensé qu’en mettant tous les gens en concurrence on allait tous les faire s’élever et les rendre meilleurs. Je pense que c’est une illusion. Plus vous mettez les gens en concurrence, plus vous allez peut-être dans un premier temps mobiliser leur énergie pour les faire s’engager, mais très vite cet engagement va décroître, et va se dégrader, parce que la concurrence génère une forme de dégradation de la motivation. Parce que cela vous met en difficulté. Et à force d’être en difficulté, vous vous mettez en protection, vous ne vous préoccupez plus que de vous-même, que d’essayer d’avoir une forme de récompense personnelle. Aujourd’hui, la problématique de toutes les entreprises c’est d’arriver à mobiliser les gens de manière collective, d’arriver à les associer pleinement, à les faire collaborer pour que tout à coup le projet de l’équipe devienne un projet véritablement partagé.

« La première règle de l’entreprise, c’est de penser que seuls les meilleurs seront récompensés. Et cette règle-là détruit l’idée même de mise en commun. »

Quel discours leur tenez-vous ?

Bien souvent je leur dis « vous n’y arriverez jamais si vous maintenez les règles de la concurrence extrême ». La première règle de l’entreprise c’est de penser que seuls les meilleurs seront récompensés. Et cette règle-là détruit l’idée même de mise en commun. Si vous laissez croire à chacun qu’il a mieux à faire en s’occupant de lui plutôt qu’en essayant de s’associer aux autres, vous détruisez de fait toute idée de collectif. Moi je plaide l’inverse et je dis très souvent dans des interventions : « ce que vous obtiendrez avec les autres sera toujours franchement plus conséquent que ce que vous auriez obtenu seul ». A partir de là, il faut miser sur cette construction collective, non pas par gentillesse ou par générosité, mais par volonté d’associer des gens qui ont des intérêts partagés. Je dis toujours « ce n’est pas parce que tu es gentil que tu vas t’associer aux autres, c’est parce qu’ensemble vous allez obtenir des niveaux de rémunération et de récompense que tu n’aurais jamais eu si tu l’avais fait seul ». L’idée c’est que seul tu vas aller plus vite, mais ensemble vous allez aller plus loin. Une fois que les gens ont compris qu’en mettant en commun on parvient à avoir dans la durée un véritable retour sur investissement, on peut commencer à construire cette équipe. On peut commencer à mettre en place ce fonctionnement qui va petit à petit nous associer pour nous amener vers des performances nettement améliorées. Ça c’est quelque chose qui je pense s’applique à tous les secteurs d’activité.

« Le monde du travail est encore trop basé sur l’obéissance. L’obéissance c’est la nature même de la déresponsabilisation. »

C’est l’esprit d’équipe qu’il faut faire entrer dans les entreprises ?

Aujourd’hui, le monde du travail est encore trop fondé sur l’obéissance. L’obéissance c’est la nature même de la déresponsabilisation. Quelqu’un qui vous obéit n’est pas quelqu’un qui est forcément d’accord avec vous. Quelqu’un qui vous obéit est quelqu’un qui va, quand il ne partage pas votre vision, vous abandonner au moment le plus délicat. Puisqu’il a le sentiment que cette difficulté n’est pas de sa responsabilité, il préfèrera aller se protéger que de faire corps avec les autres pour ne pas tomber.

Finalement, le management d’entreprise doit se remettre en question ?
On a construit un système fragile, qui semble solide parce que l’obéissance donne l’impression que tout le monde est déterminé. Sauf que tout va bien tant que tout est simple. Mais dès que tout devient compliqué, tout s’effiloche. Les modèles que je prône, ce sont des modèles d’organisation et de co-construction de projet. Ce sont des modèles qui responsabilisent. Quelqu’un qui a participé à construire un projet ne peut pas le laisser échouer ! Si le projet échoue, ce sera aussi son échec personnel. Alors, il va dans ces moments de difficulté, accepter de se fédérer avec ses collègues, pour que l’échec n’arrive pas. On voit bien que dans cette dynamique-là, il y a toute une énergie qui va faire qu’on va être capable de se servir des difficultés comme d’une opportunité. On va être capable de s’en servir comme d’un carburant qui va nous permettre d’aller encore plus loin. C’est vraiment une dynamique à construire. Demander de l’engagement à quelqu’un qui a perdu le sens de ce qu’il fait, c’est une illusion. Les gens qui se régalent dans ce qu’ils font, c’est parce qu’on les respecte, parce qu’ils ont le sentiment de participer à élaborer le projet qu’ils portent. Tous les autres modèles sont des modèles d’exclusion, d’artifice, et qui ne fonctionnent pas dans la durée. Toute difficulté peut se transformer en opportunité… Face à « la vague » vous devez choisir de ne pas la craindre et la subir. Il est toujours préférable de la surfer.

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